Il y a des livres qu’on ne termine pas vraiment. Ils s’attardent, sans bruit. Ils changent quelque chose dans le regard. This is happiness de Niall Williams fait partie de ceux-là.
C’est un roman profondément irlandais, une immersion dans le village de Faha, dans le comté de Clare, où la pluie tombe presque sans fin, toujours sous une forme différente. Une pluie qui façonne le paysage autant que les hommes. Ici, la vie suit un autre rythme, un rythme disparu, ou presque, fait de silences habités, de gestes quotidiens, de traditions, de musiques jouées à la main et de paroles transmises. Rien n’y est spectaculaire et c’est précisément ce qui bouleverse.
Le récit se déploie à travers la voix de Noel, âgé, qui revient sur un été fondateur, celui où il avait dix-sept ans. Il raconte ce retour chez ses grands-parents après avoir quitté le séminaire, perdu dans sa foi et dans ce qu’il pensait devoir être. Ce retour marque le début d’une traversée : de la jeunesse vers la lucidité, de l’ennui vers la présence, du silence vers la parole.
À EXPLORER DANS CET ARTICLE :
Une écriture qui apaise, une lecture qui recentre
Niall Williams possède un don rare : celui de faire entendre le monde intérieur des lieux autant que celui des êtres. Il écrit comme on marcherait dans un paysage aimé : avec lenteur, attention, presque gratitude. Il n’a pas besoin d’effets. Ses phrases ont la souplesse d’un ruisseau, leur musique est celle de la mémoire.
Il y a quelque chose de profondément apaisant dans cette prose. Elle ne cherche pas à séduire mais à s’installer, page après page, comme un feu qui prend doucement. Tout est dans le rythme, dans la fluidité des phrases et dans la manière dont les détails les plus simples, une lumière, un mot retenu, une tasse posée sur la table, deviennent porteurs d’une émotion profonde.
Lire This is happiness, c’est faire une pause dans un quotidien trop pressé. C’est se créer un espace où la littérature redevient une expérience pleine. Ce n’est pas une lecture que l’on survole. Elle exige un peu d’abandon, un peu de silence. Mais elle donne, en retour, un sentiment rare d’alignement, avec le livre, avec soi, avec le monde.
Les histoires comme langage du monde
À Faha, tout passe par les histoires. Elles ne servent pas seulement à divertir : elles portent la mémoire du village, l’humour, les blessures, les coutumes. On les raconte à la veillée, dans l’arrière-boutique, à mi-voix dans la cuisine. On les transmet comme des secrets qu’il ne faut pas perdre. Elles sont l’équivalent d’un héritage, parfois enjolivées, parfois floues, mais toujours vraies dans ce qu’elles disent des êtres.
Et tout autour d’elles, les lieux : l’église Saint Cecilia, où le père Coffey officie avec une fidélité tenace ; les champs détrempés qui bordent les chemins ; les maisons aux murs silencieux, habitées par des gestes simples. Même la pluie, par son absence soudaine, devient un personnage.
Et dans ce quotidien encore gouverné par les rythmes naturels, un changement se prépare : l’arrivée de l’électricité. À Faha, on en parle, on l’attend, on s’en méfie. C’est plus qu’une modernisation technique : c’est la fin d’un monde. Le roman tout entier est traversé par cette tension douce entre ce qui s’éteint et ce qui s’allume, au sens propre comme au figuré. L’électricité n’est jamais seulement lumière, elle est aussi regard neuf, mouvement intérieur, bouleversement intime.
Et puis il y a ceux qui les habitent : Noel, bien sûr, à la fois jeune homme en retrait du monde et narrateur mûr, lucide sur ses erreurs. Christy, dont la présence bouleverse subtilement l’équilibre du foyer. Doudy, qui tient sa maison avec une dignité tranquille. Et Ganga, qui incarne à lui seul une forme de bonté malicieuse, discrète, essentielle.
Il n’y a pas de grands rebondissements ici. Il y a des élans intimes, des éclats d’humanité, des décisions silencieuses qui changent des vies. C’est un roman qui donne envie de prêter davantage attention aux siens, à son environnement, aux récits que l’on transporte en soi sans même le savoir.
Un livre comme une lumière intérieure
Cela faisait longtemps que je n’avais pas connu un tel moment de lecture. Ce roman m’a offert une épiphanie, un basculement doux, intérieur, que je n’avais plus ressenti depuis ma découverte de Que ma joie demeure de Jean Giono. Ce genre de lecture qui ne bouleverse pas par son intensité, mais par ce qu’elle réveille, par sa justesse tranquille.
Et si l’on a la possibilité d’écouter ce texte plutôt que de le lire, l’expérience s’en trouve encore magnifiée. La voix de Dermot Crowley, qui interprète le roman dans sa version audio, y insuffle une musicalité profonde, avec l’Irlande dans le souffle même de son timbre. Son rythme, son accent, sa douceur donnent chair aux mots de Niall Williams. On n’écoute plus une histoire : on l’habite.
Notre Avis : ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️
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